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Baudelaire


La Fanfarlo

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Chapitre trois


« Ce qu'il y a de plus désolant, dit-il, c'est que tout amour fait toujours une mauvaise fin,. d'autant plus mauvaise qu'il était plus divin, plus ailé à son commencement. Il n'est pas de rêve, quelque idéal qu'il soit, qu'on ne retrouve avec un poupard glouton suspendu au sein; il n'est pas de retraite, de maisonnette si délicieuse et si ignorée, que la pioche ne vienne abattre. Encore cette destruction est-elle toute matérielle; mais il en est une autre plus impitoyable et plus secrète, qui s'attaque aux choses invisibles. Figurez-vous qu'au moment où vous vous appuyez sur l'être de votre choix, et que vous lui dites: Envolons-nous ensemble et cherchons le fond du ciel! - une voix implacable et sérieuse penche à votre oreille pour vous dire que nos passions sont des menteuses, que c'est notre myopie qui fait les beaux visages, et notre ignorance les belles âmes, et qu'il vient nécessairement un jour où l'idole, pour le regard plus clairvoyant, n'est plus qu'un objet, non pas de haine, mais de mépris et d'étonnement!

- De grâce, Monsieur! » dit Mme de Cosmelly.

Elle était évidemment émue; Samuel s'était aperçu qu'il avait mis le fer sur une ancienne plaie, et il insistait avec cruauté.

« Madame, dit-il, les souffrances salutaires du souvenir ont leurs charmes, et, dans cet enivrement de la douleur, on trouve parfois un soulagement. - À ce funèbre avertissement, toutes les âmes loyales s'écrieraient: Seigneur, enlevez-moi d'ici avec mon rêve, intact et pur : je veux rendre à la nature ma passion avec toute sa virginité, et porter ailleurs ma couronne inflétrie. - D'ailleurs les résultats du désillusionnement sont terribles. - Les enfants maladifs qui sortent d'un autour mourant sont la triste débauche et la hideuse impuissance: la débauche de l'esprit, l'impuissance du cœur, qui font que l'un ne vit plus que par curiosité, et que l'autre se meurt chaque jour de lassitude. Nous ressemblons tous plus ou moins à un voyageur qui attrait parcouru un très grand pays, et regarderait .chaque soir le soleil, qui jadis dorait superbement les agréments de la route, se coucher dans un horizon plat. Il s'assied avec résignation sur de sales collines couvertes de débris inconnus, et dit aux senteurs des bruyères qu'elles ont beau monter vers le ciel vide; aux graines rares et malheureuses, qu'elles ont beau germer dans un sol desséché; aux oiseaux qui croient leurs mariages bénis par quelqu'un, qu'ils ont tort de bâtir des nids dans une contrée balayée de vents froids et violents. Il reprend tristement sa route vers un désert qu'il sait semblable à celui qu'il vient de parcourir, escorté par un pâle fantôme qu'on nomme Raison, qui éclaire avec une pâle lanterne l'aridité de son chemin, et pour étancher la soif renaissante de passion qui le prend de temps en temps, lui verse le poison de l'ennui. »

Fanfarlo Tout d'un coup, entendant un profond soupir et un sanglot mal comprimé, il se retourna vers Mme de Cosmelly ; elle pleurait abondamment et n'avait même plus la force de cacher ses larmes.

Il la considéra quelque temps en silence, avec l'air le plus attendri et le plus onctueux qu'il put se donner; le brutal et hypocrite comédien était fier de ces belles larmes; il les considérait comme son oeuvre et sa propriété littéraire. Il se méprenait sur le sens intime de cette douleur, comme Mme de Cosmelly, noyée dans cette candide désolation, se méprenait sur l'intention de son regard. Il y eut là un jeu singulier de malentendus, à la suite duquel Samuel Cramer lui tendit définitivement une double poignée de main, qu'elle accepta avec une tendre confiance.

« Madame, reprit Samuel après quelques instants de silence, - le silence classique de l'émotion, - la vraie sagesse consiste moins à maudire qu'à espérer. Sans le don tout divin de l'espérance, comment pourrions nous traverser ce hideux désert de l'ennui que je viens de vous décrire? Le fantôme qui nous accompagne est vraiment un fantôme de raison: on peut le chasser en l'aspergeant avec l'eau bénite de la première vertu théologale. Il y a une aimable philosophie qui sait trouver des consolations dans les objets les plus indignes en apparence. De même que la vertu vaut mieux que l'innocence, et qu'il y a plus de mérite à ensemencer un désert qu'à butiner avec insouciance dans un verger fructueux, de même il est vraiment digne d'une âme d'élite de se purifier et de purifier le prochain par son contact. Comme il n'est pas de trahison qu'on ne pardonne, il n'est pas de faute dont on ne puisse se faire absoudre, pas d'oubli qu'on ne puisse combler; il est une science d'aimer, son prochain et de le trouver aimable, comme il est un savoir bien vivre. Plus un esprit est délicat, plus il découvre de beautés originales; plus une âme est tendre et ouverte à la divine espérance, plus elle trouve dans autrui, quelque souillé qu'il soit, de motifs d'amour; ceci est l'œuvre de la charité, et l'on a vu plus d'une voyageuse désolée et perdue dans les déserts arides du désillusionnement, reconquérir la foi et s'éprendre plus fortement de ce qu'elle avait perdu, avec d'autant plus de raison qu'elle possède alors la science de diriger sa passion et celle de la personne aimée. >»

Le visage de Mme de Cosmelly s'était éclairé peu à peu ; sa tristesse rayonnait d'espérance comme un soleil mouillé, et à peine Samuel eut-il fini son discours, qu'elle lui dit vivement et avec l'ardeur naïve d'un enfant:

« Est-il bien vrai, Monsieur, que cela soit possible, et y a-t-il pour les désespérés des branches aussi faciles à saisir?

- Mais certainement, Madame.

- Ah! que vous me rendriez bien la plus heureuse des femmes, si vous daigniez m'enseigner vos recettes!

Rien de plus facile », répliqua-t-il brutalement.

Au milieu de ce marivaudage sentimental, la confiance était venue et avait en effet uni les mains des deux personnages; si bien qu'après quelques hésitations et quelques pruderies qui semblèrent de bon augure à Samuel, Mme de Cosmelly à son tour lui fit ses confidences et commença ainsi:

« Je comprends, Monsieur, tout ce qu'une âme poétique peut souffrir de cet isolement, et combien une ambition de cœur comme la vôtre doit se vite consumer dans sa solitude; mais vos douleurs, qui n'appartiennent qu'à vous, viennent, autant que j'ai pu le démêler sous la pompe de vos paroles, de besoins bizarres toujours insatisfaits et presque impossibles à satisfaire. Vous souffrez, il est vrai; mais il se peut que votre souffrance fasse votre grandeur et qu'elle vous soit aussi nécessaire qu'à d'autres le bonheur. Maintenant, daignerez-vous écouter et sympathiser avec des chagrins plus faciles à comprendre, - une douleur de province? J'attends de vous, monsieur Cramer, de vous, le savant, l'homme d'esprit, les conseils et peut-être les secours d'un ami.

Vous savez qu'au temps où vous m'avez connue, j'étais une bonne petite fille, un peu rêveuse déjà comme vous, mais timide et fort obéissante; que je me regardais moins souvent que vous dans la glace, et que j'hésitais toujours à manger ou à mettre dans mes poches les pêches et le raisin que vous alliez hardiment voler pour moi dans le verger de nos voisins. Je ne trouvais jamais un plaisir vraiment agréable et complet qu'autant qu'il fût permis, et j'aimais bien mieux embrasser un beau garçon comme vous devant ma vieille tante qu'au milieu des champs. La coquetterie et le soin que toute fille à marier doit avoir de sa personne ne me sont venus que tard. Quand j'ai su à peu près chanter une romance au piano, on m'a habillée avec plus de recherche, on m'a forcée à me tenir droite; on m'a fait faire de la gymnastique, et l'on m'a défendu de gâter mes mains à planter des fleurs ou à élever des oiseaux. Il ne fut permis de lire autre chose que Berquin, et je fus menée en grande toilette au théâtre de l'endroit voir de mauvais opéras. Quand M. de Cosmelly vint au château, je me pris tout d'abord pour lui d'une amitié vive; comparant sa jeunesse florissante avec la vieillesse un peu grondeuse de ma tante, je lui trouvai de plus l'air noble, honnête, et il usait avec moi de la galanterie la plus respectueuse. Puis on citait de lui les traits les plus beaux : un bras cassé en duel pour un ami un peu poltron qui lui avait confié l'honneur de sa sœur, des sommes énormes prêtées à d'anciens camarades sans fortune; que sais-je, moi? Il avait avec tout le monde un air de commandement à la fois affable et irrésistible qui me dompta moi-même. Comment avait-il vécu avant de mener auprès de nous la vie de château; avait-il connu d'autres plaisirs que de chasser avec moi ou de chanter de vertueuses romances sur mon mauvais piano; avait-il eu des maîtresses? Je n'en savais rien, et je ne songeais pas à m'en informer. Je me mis à l'aimer avec toute la crédulité d'une jeune fille qui n'a pas eu le temps de comparer, et je l'épousai, - ce qui fit à ma tante le plus grand plaisir. Quand je fus sa femme devant la religion et devant la loi, je l'aimai encore plus. - Je l'aimai beaucoup trop, sans doute. A vais-je tort, avais-je raison? qui peut le savoir? J'ai été heureuse de cet amour, j'ai eu tort d'ignorer qu'il pût être troublé. - Le connaissais-je bien avant de l'épouser? Non, sans doute; mais il semble qu'on ne peut pas plus accuser une honnête fille qui veut se marier de faire un choix imprudent, qu'une femme perdue de prendre un amant ignoble. L'une et l'autre, ­ malheureuses que nous sommes! - sont également ignorantes. Il manque à ces malheureuses victimes, qu'on nomme filles à marier, une honteuse éducation, je veux dire la connaissance des vices d'un homme. Je voudrais que chacune de ces pauvres petites, avant de subir le lien conjugal, pût entendre dans un lieu secret, et sans être vue, deux hommes causer entre eux des choses de la vie, et surtout des femmes. Après cette première et redoutable épreuve, elles pourraient se livrer avec moins de danger aux chances terribles du mariage, connaissant le fort et le faible de leurs futurs tyrans.








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