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Báseò o hašiši

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Baudelaire


La Fanfarlo

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Chapitre quatre


Samuel ne savait pas au juste où cette charmante victime en voulait venir; mais il commençait à trouver qu'elle parlait beaucoup trop de son mari pour une femme désillusionnée.

Après avoir fait une pause de quelques minutes, comme si elle craignait d'aborder l'endroit funeste, elle reprit ainsi: « Un jour, M. de Cosmelly voulut revenir à Paris; il fallait que je brillasse dans mon jour et que je fusse encadrée selon mes mérites. Une femme belle et instruite, disait-il, se doit à Paris. Il faut qu'elle sache poser devant le monde et faire tomber quelques-uns de ses rayons sur son mari. - Une femme qui a l'esprit noble et du bon sens sait qu'elle n'a de gloire à attendre ici-bas qu'autant qu'elle fait une partie de la gloire de son compagnon de voyage, qu'elle sert les vertus de son mari, et surtout qu'elle n'obtient de respect qu'autant qu'elle le fait respecter. - Sans doute, c'était le moyen le plus simple et le plus sûr pour se faire obéir presque avec joie; savoir que mes efforts et mon obéissance m'embelliraient à ses yeux, à coup sûr, il n'en fallait pas tant pour me décider à aborder ce terrible Paris, dont j'avais instinctivement peur, et dont le noir et éblouissant fantôme dressé à l'horizon de mes rêves faisait se serrer mon pauvre cœur de fiancée. - C'était donc là, à l'entendre, le vrai motif de notre voyage. La vanité d'un mari fait la vertu d'une femme amoureuse. Peut-être se mentait-il à lui-même avec une sorte de bonne foi, et rusait-il avec sa conscience sans trop s'en apercevoir.

Fanfarlo - À Paris, nous eûmes des jours réservés pour des intimes dont M. de Cosmelly s'ennuya à la longue, comme il s'était ennuyé de sa femme. Peut-être s'était-il un peu dégoûté d'elle, parce qu'elle avait trop d'amour; elle mettait tout son cœur en avant. Il se dégoûta de ses amis par la raison contraire. Ils n'avaient rien à lui offrir que les plaisirs monotones des conversations où la passion n'a aucune part. Dès lors, son activité prit une autre direction. Après les amis vinrent les chevaux et les jeux. Le bourdonnement du monde, la vue de ceux qui étaient restés sans entraves et qui lui racontaient sans cesse les souvenirs d'une jeunesse folle et occupée, l'arrachèrent au coin du feu et aux longues causeries. Lui, qui n'avait jamais eu d'autre affaire que son cœur, il eut des affaires. Riche et sans profession, il sut se créer une foule d'occupations remuantes et frivoles qui remplissaient tout son temps; les questions conjugales: - Où vas-tu? - À quelle heure te reverra-t-on? Reviens vite, - il fallut les refouler au fond de ma poitrine; car la vie anglaise, - cette mort du cœur, - la vie des clubs et des cercles, l'absorba tout entier. - Le soin exclusif de sa personne et le dandysme qu'il affecta me choquèrent tout d'abord; il est évident que je n'en étais pas l'objet. Je voulus faire comme lui, être plus que belle, c'est-à-dire coquette, coquette pour lui, comme il l'était pour le monde; autrefois j'offrais tout, je donnais tout, je voulus désormais me faire prier. Je voulais ranimer les cendres de mon bonheur éteint, en les agitant et en les retournant; mais il paraît que je suis bien malhabile à la ruse et bien gauche au vice, il ne daigna pas s'en apercevoir. - Ma tante, cruelle comme toutes les femmes vieilles et envieuses, qui sont réduites à admirer un spectacle où jadis elles furent actrices, et à contempler les jouissances qu'on leur refuse, eut grand soin de me faire savoir, par l'entremise intéressée d'un cousin de M. de Cosmelly, qu'il s'était épris d'une fille de théâtre fort en vogue. Je me fis conduire dans tous les spectacles, et toute femme un peu belle que je voyais entrer en scène, je tremblais d'admirer en elle ma rivale. Enfin j'appris, par une charité du même cousin, que c'était la Fanfarlo, une danseuse aussi bête que belle, - V ous qui êtes auteur, vous la connaissez sans doute. - Je ne suis pas très vaniteuse ni très fière de ma figure; mais je vous jure, monsieur Cramer, que, maintes fois, la nuit, vers trois ou quatre heures du matin, fatiguée d'attendre mon mari, les yeux rouges de larmes et d'insomnies, après avoir fait de longues et suppliantes prières pour son retour à la fidélité et au devoir, j'ai demandé à Dieu, à ma conscience, à mon miroir, si j'étais aussi belle que cette misérable Fanfarlo. Mon miroir et ma conscience m'ont répondu: Oui. Dieu m'a défendu de m'en glorifier, mais non d'en tirer une légitime victoire. Pourquoi donc entre deux beautés égales, les hommes préfèrent-ils souvent la fleur que tout le monde a respirée, à celle qui s'est toujours gardée des passants dans les allées les plus obscures du jardin conjugal? Pourquoi donc les femmes prodigues de leur corps, trésor dont un seul sultan doit avoir la clef, possèdent-elles plus d'adorateurs que nous autres, malheureuses martyres d'un amour unique? De quel charme si magique le vice auréole-t-il certaines créatures? Quel aspect gauche et repoussant leur vertu donne-t-elle à certaines autres? Répondez donc, vous qui, par état, devez connaître tous les sentiments de la vie et leurs raisons diverses! »

Samuel n'eut pas le temps de répondre, car elle continua ardemment:

« M. de Cosmelly a des choses bien graves sur la conscience, si la perte d'une âme jeune et vierge intéresse le Dieu qui la créa pour le bonheur d'une autre. Si M. de Cosmelly mourait ce soir même, il aurait bien des pardons à implorer; car il a, par sa faute, enseigné à sa femme d'affreux sentiments, la haine, la défiance de l'objet aimé et la soif de la vengeance. - Ah ! Monsieur, je passe des nuits bien douloureuses, des insomnies bien inquiètes; je prie, je maudis, je blasphème. Le prêtre me dit qu'il faut porter sa croix avec résignation; mais l'amour en démence, mais la foi ébranlée ne savent pas se résigner. Mon confesseur n'est pas une femme, et j'aime mon mari, je l'aime, Monsieur, avec toute la passion et toute la douleur d'une maîtresse battue et foulée aux pieds. Il n'est rien que je n'aie tenté. Au lieu des toilettes sombres et simples auxquelles son regard se plaisait autrefois, j'ai porté des toilettes folles et somptueuses comme les femmes de théâtre. Moi, la chaste épouse qu'il était allé chercher au fond d'un pauvre château, j'ai paradé devant lui avec des robes de fille; je me suis faite spirituelle et enjouée quand j'avais la mort dans le cœur. J'ai pailleté mon désespoir avec des sourires étincelants. Hélas! il n'a rien vu. J'ai mis du rouge, Monsieur, j'ai mis du rouge ! - Vous le voyez, c'est une histoire banale, l'histoire de toutes les malheureuses - un roman de province! »

Pendant qu'elle sanglotait, Samuel faisait la figure de Tartufe empoigné par Orgon, l'époux inattendu, qui s'élance du fond de sa cachette, comme les vertueux sanglots de cette dame qui s'élançaient de son cœur, et venaient saisir au collet l'hypocrisie chancelante de notre poète.

L'abandon extrême, la liberté et la confiance de Mme de Cosmelly l'avaient prodigieusement enhardi,- sans l'étonner. Samuel Cramer, qui a souvent étonné le monde, ne s'étonnait guère. Il semblait dans sa vie vouloir mettre en pratique et démontrer la vérité de cette pensée de Diderot: « L'incrédulité est quelquefois le vice d'un sot, et la crédulité le défaut d'un homme d'esprit. L'homme d'esprit voit loin dans l'immensité des possibles. Le sot ne voit guère de possible que ce qui est. C'est là peut-être ce qui rend l'un pusillanime et l'autre téméraire. » Ceci répond à tout. Quelques lecteurs scrupuleux et amoureux de la vérité vraisemblable trouveront sans doute beaucoup à redire à cette histoire, où pourtant je n'ai eu d'autre besogne à faire que de changer les noms et d'accentuer les détails ; comment, diront-ils, Samuel, un poète de mauvais ton et de mauvaises mœurs, peut-il aborder aussi prestement une femme comme Mme de Cosmelly? lui verser, à propos d'un roman de Scott, un torrent de poésie romantique et banale? Mme de Cosmelly, la discrète et vertueuse épouse, lui verser aussi promptement, sans pudeur et sans défiance, le secret de ses chagrins? À quoi je réponds que Mme de Cosmelly était simple comme une belle âme, et que Samuel était hardi comme les papillons, les hannetons et les poètes; il se jetait dans toutes les flammes et entrait par toutes les fenêtres. La pensée de Diderot explique pourquoi l'une fut si abandonnée, l'autre si brusque et si impudent. Elle explique aussi toutes les bévues que Samuel a commises dans sa vie, bévues qu'un sot n'eût pas commises. Cette portion du public qui est essentiellement pusillanime ne comprendra guère le personnage de Samuel, qui était essentiellement crédule et imaginatif, au point qu'il croyait, comme poète, à son public, ­comme homme, à ses propres passions.

Dès lors il s'aperçut que cette femme était plus forte, plus escarpée qu'elle n'en avait l'air, et qu'il ne fallait pas heurter de front cette piété candide. Il lui défila de nouveau son jargon romantique. Honteux d'avoir été bête, il voulut être roué; il lui parla quelque temps encore en patois séminariste de blessures à fermer ou à cautériser par l'ouverture de nouvelles plaies saignantes largement et sans douleur. Quiconque a voulu, sans avoir en lui la force absolutrice de Valmont ou de Lovelace, posséder une honnête femme qui ne s'en souciait guère, sait avec quelle risible et emphatique gaucherie chacun dit en montrant son cœur: prenez mon ours; - cela me dispensera donc de vous expliquer combien Samuel fut bête.

- Mme de Cosmelly, cette aimable Elmire qui avait le coup d'œil clair et prudent de la vertu, vit promptement le parti qu'elle pouvait tirer de ce scélérat novice, pour son bonheur et pour l'honneur de son mari. Elle le paya donc de la même monnaie ; elle se laissa presser les mains; on parla d'amitié et de choses platoniques. Elle murmura le mot de vengeance ; elle dit que, dans ces douloureuses crises de la vie d'une femme, on donnerait volontiers à son vengeur le reste du cœur que le perfide a bien voulu vous laisser, et autres niaiseries et marivaudages dramatiques. Bref, elle fit de la coquetterie pour le bon motif, et notre jeune roué, qui était plus nigaud qu'un savant, promit d'arracher la Fanfarlo àM. de Cosmelly, et de le débarrasser de la courtisane, - espérant trouver dans les bras de l'honnête femme la récompense de cette oeuvre méritoire. - Il n'y a que les poètes qui soient assez candides pour inventer de pareilles monstruosités.









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