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Malé básnì v próze

Báseò o hašiši

Fanfarlo

Dùvìrný deník


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Les fleurs du mal

Petits poemes en prose

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Baudelaire in English

The Flowers of Evil

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Baudelaire


La Fanfarlo

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Chapitre six


Le temps était noir comme la tombe, et le vent qui berçait des monceaux de nuages faisait de leurs cahotements ruisseler une averse de grêle et de pluie. Une grande tempête faisait trembler les mansardes et gémir les clochers; le ruisseau, lit funèbre où s'en vont les billets doux et les orgies de la veille, charriait en bouillonnant ses mille secrets aux égouts; la mortalité s'abattait joyeusement sur les hôpitaux, et les Chatterton et les Savage de la rue Saint-Jacques crispaient leurs doigts gelés sur leurs écritoires, - quand l'homme le plus faux, le plus égoïste, le plus sensuel, le plus gourmand, le plus spirituel de nos amis arriva devan t un beau souper et une bonne table, en compagnie d'une des plus belles femmes que la nature ait formées pour le plaisir des yeux. Samuel voulut ouvrir la fenêtre pour jeter un coup d'œil de vainqueur sur la ville maudite ; puis abaissant son regard sur les diverses félicités qu'il avait à côté de lui, il se bâta d'en jouir.

En compagnie de pareilles choses, il devait être éloquent: aussi, malgré son front trop haut, ses cheveux en forêt vierge et son nez de priseur, la Fanfarlo le trouva presque bien.

Samuel et la Fanfarlo avaient exactement les mêmes idées sur la CUIsme et le système d'alimentation nécessaire aux créatures d'élite. Les viandes niaises, les poissons fades étaient exclus des soupers de cette sirène. Le champagne déshonorait rarement sa table. Les bordeaux les plus célèbres et les plus parfumés cédaient le pas au bataillon lourd et serré des bourgognes, des vins d'Auvergne, d'Anjou et du Midi, et des vins étrangers, allemands, grecs, espagnols. Samuel avait coutume de dire qu'un verre de vrai vin devait ressembler à une grappe de raisin noir, et qu'il y avait dedans autant à manger qu'à boire. ­La Fanfarlo aimait les viandes qui saignent et les vins qui charrient l'ivresse. - Du reste, elle ne se grisait jamais. - Tous deux professaient une estime sincère et profonde pour la truffe. - La truffe, cette végétation sourde et mystérieuse de Cybèle, cette maladie savoureuse qu'elle a cachée dans ses entrailles plus longtemps que le métal le plus précieux, cette exquise matière qui défie la science de l'agromane, comme l'or celle des Paracelse; la truffe, qui fait la distinction du monde ancien et du moderne, et qui, avant un verre de Chio, a l'effet de plusieurs zéros après un chiffre.

Quant à la question des sauces, ragoûts et assaisonnements, question grave et qui demanderait un chapitre grave comme un feuilleton de science, je puis vous affirmer qu'ils étaient parfaitement d'accord, surtout sur la nécessité d'appeler toute la pharmacie de la nature au secours de la cuisine. Piments, poudres anglaises, safraniques, substances coloniales, poussières exotiques, tout leur eût semblé bon, voire le musc et l'encens. Si Cléopâtre vivait encore, je tiens pour certain qu'elle eût voulu accommoder des filets debœuf ou de chevreuil avec des parfums d'Arabie. Certes, il est à déplorer que les cordons bleus d'à présent ne soient pas contraints par une loi particulière et voluptuaire à connaître les propriétés chimiques des matières, et ne sachent pas découvrir, pour les cas nécessaires, comme celui d'une fête amoureuse, des éléments culinaires presque inflammables, prompts à parcourir le système organique, comme l'acide prussique, à se volatiliser comme l'éther.


Chose curieuse, cet accord d'opinions pour le bien-vivre, cette similitude de goûts les lia vivement; cette entente profonde de la vie sensuelle, qui brillait dans chaque regard et dans chaque parole
Fanfarlo de Samuel, frappa beaucoup la Fanfarlo. Cette parole tantôt brutale comme un chiffre, tantôt délicate et parfumée comme une fleur ou un sachet, cette causerie étrange, dont lui seul a connu le secret, acheva de lui gagner les bonnes grâces de cette charmante femme. Du reste, ce ne fut pas non plus sans une vive et profonde satisfaction qu'il reconnut, à l'inspection de la chambre à coucher, une parfaite confraternité de goûts et de sentiments à l'endroit des ameublements et des constructions intérieures. Cramer haïssait profondément, et il avait, selon moi, parfaitement raison, les grandes lignes droites en matière d'appartements et l'architecture importée dans le foyer domestique. Les vastes salles des vieux châteaux me font peur, et je plains les châtelaines d'avoir été contraintes à faire l'amour dans de grands dortoirs qui avaient un air de cimetière, dans de vastes catafalques qui se faisaient appeler des lits, sur de gros monuments qui prenaient le pseudonyme de fauteuils. Les appartements de Pompéi sont grands comme la main; les ruines indiennes qui couvrent la côte de Malabar témoignent du même système. Ces grands peuples voluptueux et savants connaissaient parfaitement la question. Les sentiments intimes ne se recueillent à loisir que dans un espace très étroit.

La chambre à coucher de la Fanfarlo était donc très petite, très basse, encombrée de choses molles, parfumées et dangereuses à toucher ; l'air, chargé de miasmes bizarres, donnait envie d'y mourir lentement comme dans une serre chaude. La clarté de la lampe se jouait dans un fouillis de dentelles et d'étoffes d'un ton violent, mais équivoque. Çà et là, sur le mur, elle éclairait quelques peintures pleines d'une volupté espagnole: des chairs très blanches sur des fonds très noirs. C'est au fond de ce ravissant taudis, qui tenait à la fois du mauvais lieu et du sanctuaire, que Samuel vit s'avancer vers lui la nouvelle déesse de son coeur, dans la splendeur radieuse et sacrée de sa nudité.

Quel est l'homme qui ne voudrait, même au prix de la moitié de ses jours, voir son rêve, son vrai rêve poser sans voile devant lui, et le fantôme adoré de son imagination faire tomber un à un tous les vêtements destinés à protéger contre les yeux du vulgaire? Mais voilà que Samuel, pris d'un caprice bizarre, se mit à crier comme un enfant gâté: Je veux Colombine, rends-moi Colombine; rends-la-moi telle qu'elle m'est apparue le soir qu'elle m'a rendu fou avec son accoutrement fantasque et un corsage de saltimbanque!

Fanfarlo La Fanfarlo, étonnée d'abord, voulut bien se prêter à l'excentricité de l'homme qu'elle avait choisi, et l'on sonna Flore; celle-ci eut beau représenter qu'il était trois heures du matin, que tout était fermé au théâtre, le concierge endormi, le temps affreux, - la tempête continuait son tapage, - il fallut obéir à celle qui obéissait elle-même, et la femme de chambre sortit ; quand Cramer, pris d'une nouvelle idée, se pendit à la sonnette et s'écria d'une voix tonnante: « Eh ! n'oubliez pas le rouge ! »

Ce trait caractéristique, qui a été raconté par la Fanfarlo elle-même, un soir que ses camarades l'interrogeaient sur le commencement de sa liaison avec Samuel, ne m'a nullement étonné; j'ai bien reconnu en ceci l'auteur des Orfraies. Il aimera toujours le rouge et la céruse, le chrysocale et les oripeaux de toute sorte. Il repeindrait volontiers les arbres et le ciel, et si Dieu lui avait confié le plan de la nature, il l'aurait peut-être gâté.

Quoique Samuel fût une imagination dépravée, et peut-être à cause de cela même, l'amour était chez lui moins une affaire des sens que du raisonnement. C'était surtout l'admiration et l'appétit du beau; il considérait la reproduction comme un vice de l'amour, la grossesse comme une maladie d'araignée. Il a écrit quelque part: Les anges sont hermaphrodites et stériles. - Il aimait un corps humain comme une harmonie matérielle, comme une belle architecture, plus le mouvement; et ce matérialisme absolu n'était pas loin de l'idéalisme le plus pur. Mais comme dans le beau, qui est la cause de l'amour, il y avait selon lui deux éléments: la ligne et l'attrait, - et que tout ceci ne regarde que la ligne, - l'attrait pour lui, ce soir-là du moins, c'était le rouge.

La Fanfarlo résumait donc pour lui la ligne et l'attrait; et quand, assise au bord du lit dans l'insouciance et dans le calme victorieux de la femme aimée, les mains délicatement posées sur lui, il la regardait, il lui semblait voir l'infini derrière les yeux clairs de cette beauté, et que les siens à la longue planaient dans d'immenses horizons. Du reste, comme il arrive aux hommes exceptionnels, il était souvent seul dans son paradis, nul ne pouvant l'habiter avec lui; et si, de hasard, il l'y ravissait et l'y traînait presque de force, elle restait toujours en arrière : aussi, dans le ciel où il régnait, son amour commençait d'être triste et malade de la mélancolie du bleu, comme un royal solitaire.

Cependant il ne s'ennuya jamais d'elle; jamais, en quittant son réduit amoureux, piétinant lestement sur un trottoir, à l'air frais du matin, il n'éprouva cette jouissance égoïste du cigare et des mains dans les poches, dont parle quelque part notre grand romancier moderne.

À défaut du cœur, Samuel avait l'intelligence noble, et, au lieu d'ingratitude, la jouissance avait engendré chez lui ce contentement savoureux, cette rêverie sensuelle, qui vaut peut-être mieux que l'amour comme l'entend le vulgaire. Du reste, la Fanfarlo avait fait de son mieux et dépensé ses plus habiles caresses, s'étant aperçue que l'homme en valait la peine: elle s'était accoutumée à ce langage mystique, bariolé d'impuretés et de crudités énormes. - Cela avait pour elle du moins l'attrait de la nouveauté.

Le coup de tête de la danseuse avait fait son bruit. Il y avait eu plusieurs relâches sur l'affiche; elle avait négligé les répétitions; beaucoup de gens enviaient Samuel.

Fanfarlo Un soir que le hasard, l'ennui de M. de Cosmelly ou une complication de ruses de sa femme, les avait réunis au coin du feu, - après un de ces longs silences qui ont lieu dans les ménages ou l'on n'a plus rien à se dire et beaucoup à se cacher, - après lui avoir fait le meilleur thé du monde, dans une théière bien modeste et bien fêlée, peut-être encore celle du château de sa tante, - après avoir chanté au piano quelques morceaux d'une musique en vogue il y a dix ans, - elle lui dit avec la voix douce et prudente de la vertu qui veut se rendre aimable et craint d'effaroucher l'objet de ses affections, - qu'elle le plaignait beaucoup, qu'elle avait beaucoup pleuré, plus encore sur lui que sur elle-même; qu'elle eût au moins voulu; dans sa résignation toute soumise; et toute dévouée, qu'il pût trouver ailleurs que chez elle l'amour qu'il ne demandait plus à sa femme ; qu'elle avait plus souffert de le voir trompé que de se voir délaissée; que d'ailleurs il y avait beaucoup de sa propre faute, qu'elle avait oublié ses devoirs de tendre épouse, en n'avertissant pas son mari du danger; que, dit reste, elle était toute prête à fermer cette plaie saignante et à réparer à elle seule une imprudence commise à deux, etc., - et tout ce que peut suggérer de paroles mielleuses une ruse autorisée par la tendresse. - Elle pleurait et pleurait bien ; le feu éclairait ses larmes et son visage embelli par la douleur.

M. de Cosmelly ne dit pas un mot et sortit. Les hommes pris au trébuchet de leurs fautes n'aiment pas faire à la clémence une offrande de leurs remords. S'il alla chez la Fanfarlo, il y trouva sans doute des vestiges de désordre, des bouts de cigares et des feuilletons.

Un matin, Samuel fut réveillé par la voix mutine de la Fanfarlo, et leva lentement sa tête fatiguée de l'oreiller où elle reposait, pour lire une lettre qu'elle lui remit:

« Merci, Monsieur, mille fois merci; mon bonheur et ma reconnaissance vous seront comptés dans un meilleur monde. J'accepte. Je reprends mon mari de vos mains, et je l'emporte ce soir à notre terre de C***, où je vais retrouver la santé et la vie que je vous dois. Recevez, Monsieur, la promesse d'une amitié éternelle. Je vous ai toujours cru trop honnête homme pour ne pas préférer une amitié de plus à toute autre récompense.

Samuel, vautré sur de la dentelle, et appuyé sur une des plus fraîches et des plus belles épaules qu'on pût voir, sentit vaguement qu'il était joué, et eut quelque peine à rassembler dans sa mémoire les éléments de l'intrigue dont il avait amené le dénouement; mais il se dit tranquillement:

Nos passions sont-elles bien sincères? qui peut savoir sûrement ce qu'il veut et connaître au juste le baromètre de son cœur?

« Que murmures-tu là? qu'est-ce que c'est que ça? je veux voir, dit la Fanfarlo.

- Ah! rien, fit Samuel. - Une lettre d'honnête femme à qui j'avais promis d'être aimé de toi.

- Tu me le paieras », dit-elle entre ses dents.

Il est probable que la Fanfarlo a aimé Samuel, mais de cet amour que connaissent peu d'âmes, avec une rancune au fond. Quant à lui, il a été puni par où il avait péché. Il avait souvent singé la passion ; il fut contraint de la connaître; mais ce ne fut point l'amour tranquille, calme et fort qu'inspirent les honnêtes filles, ce fut l'amour terrible, désolant et honteux, l'amour maladif des courtisanes. Samuel connut toutes les tortures de la jalousie, et l'abaissement et la tristesse où nous jette la conscience d'un mal incurable et constitutionnel, - bref, toutes les horreurs de ce mariage vicieux qu'on nomme le concubinage. Quant à elle, elle engraisse tous les jours; elle est devenue une beauté grasse, propre, lustrée et rusée, une espèce de lorette ministérielle. - Un de ces jours elle fera ses pâques et rendra le pain bénit à sa paroisse. À cette époque peut-être, Samuel, mort à la peine, sera cloué sous la lame, comme il le disait en son bon temps, et la Fanfarlo, avec ses airs de chanoinesse, fera tourner la tête d'un jeune héritier. - En attendant, elle apprend à faire des enfants; elle vient d'accoucher heureusement de deux jumeaux. Samuel a mis bas quatre livres de science: un livre sur les quatre évangélistes, - un autre sur la symbolique des couleurs, - un mémoire sur un nouveau système d'annonces, - et un quatrième dont je ne veux pas me rappeler le titre. - Ce qu'il y a de plus épouvantable dans ce dernier, c'est qu'il est plein de verve, d'énergie et de curiosités. Samuel a eu le front d'y mettre pour épigraphe: A uri sacra James! - La Fanfarlo veut que son amant soit de l'Institut, et elle intrigue au ministère pour qu'il ait la croix.

Pauvre chantre des Oifraies! Pauvre Manuela de Monteverde! - Il est tombé bien bas. - J'ai appris récemment qu'il fondait un journal socialiste et voulait se mettre à la politique. - Intelligence malhonnête! - comme dit cet honnête M. Nisard.








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