Charles Baudelaire :: svìt prokletého básníka :: Poezie a próza
Úvodní stránka  |  Poezie a próza  |  Život v datech  |  Galerie  |  Citáty a glosy  |  Téma Baudelaire  |  Odkazy
English version  |  Version Française

èeské pøeklady

Kvìty zla

Malé básnì v próze

Báseò o hašiši

Fanfarlo

Dùvìrný deník


originale française

Les fleurs du mal

» Petits poemes en prose «

A Arsane Houssaye
I. L'étranger
II. Le désespoir de la vieille
III. Le confiteor de l'artiste
IV. Un plaisant
V. La chambre double
VI. Chacun sa chimere
VII. Le fou et la Vénus
VIII. Le chien et le flacon
» IX. Le mauvais vitrier «
X. a une heure du matin
XI. La femme sauvage et la petite maitresse
XII. Les foules
XIII. Les veuves
XIV. Le vieux saltimbanque
XV. Le gateau
XVI. L'horloge
XVII. Un hémisphere dans une chevelure
XVIII. L'invitation au voyage
XIX. Le joujou du pauvre
XX. Les dons des fées
XXI. Les tentations, ou Éros, Plutus et la gloire
XXII. Le crépuscule du soir
XXIII. La solitude
XXIV. Les projets
XXV. La belle Dorothée
XXVI. Les yeux des pauvres
XXVII. Une mort héroique
XXVIII. La fausse monnaie
XXIX. Le joueur généreux
XXX. La corde - a Édouard Manet
XXXI. Les vocations
XXXII. Le Thyrse - a Franz Liszt
XXXIII. Enivrez-vous
XXXIV. Déja
XXXV. Les fenetres
XXXVI. Le désir de peindre
XXXVII. Les bienfaits de la lune
XXXVIII. Laquelle est la vraie?
XXXIX. Un cheval de race
XL. Le miroir
XLI. Le port
XLII. Portraits de maîtresses
XLIII. Le galant tireur
XLIV. La soupe et les nuages
XLV. Le tir et le cimetiere
XLVI. Perte d'auréole
XLVII. Mademoiselle Bistouri
XLVIII. Any where out of the world - N'importe ou hors du monde
XLIX. Assommons les pauvres
L. Les bons chiens - a M. Joseph Stevens
Épilogue

La Fanfarlo


Baudelaire in English

The Flowers of Evil

Prose Poems

Fanfarlo




Navštivte

Malý koutek poezie

Malý koutek poezie


Baudelaire


Petits poemes en prose

Previous    Next


IX. Le mauvais vitrier


Il y a des natures purement contemplatives et tout a fait impropres a l'action, qui cependant, sous une impulsion mystérieuse et inconnue, agissent quelquefois avec une rapidité dont elles se seraient crues elles-memes incapables.
Tel qui, craignant de trouver chez son concierge une nouvelle chagrinante, rôde lâchement une heure devant sa porte sans oser rentrer, tel qui garde quinze jours un lettre sans la décacheter, ou ne se résigne qu'au bout de six mois a opérer une démarche nécessaire depuis un an, se sentent quelquefois brusquement précipités vers l'action par une force irrésistible, comme la fleche d'un arc. Le moraliste et le médecin, qui prétendent tout savoir, ne peuvent pas expliquer d'ou vient si subitement une si folle énergie a ces âmes paresseuses et voluptueuses, et comment, incapables d'accomplir les choses les plus simples et les plus nécessaires, elles trouvent a une certaine minute un courage de luxe pour exécuter les actes les plus absurdes et souvent meme les plus dangereux.
Un de mes amis, le plus inoffensif reveur qui ait existé, a mis une fois le feu a une foret pour voir, disait-il, si le feu prenait avec autant de facilité qu'on l'affirme généralement. Dix fois de suite, l'expérience manqua; mais, a la onzieme, elle réussit beaucoup trop bien.
Un autre allumera un cigare a côté d'un tonneau de poudre, pour voir, pour savoir, pour tenter la destinée, pour se contraindre lui-meme a faire preuve d'énergie, pour faire le joueur, pour connaître les plaisirs de l'anxiété, pour rien, par caprice, par désoeuvrement.
C'est une espece d'énergie qui jaillit de l'ennui et de la reverie; et ceux en qui elle se manifeste si inopinément sont, en général, comme je l'ai dit, les plus indolents et les plus reveurs des etres.
Un autre, timide a ce point qu'il baisse les yeux meme devant les regards des hommes, a ce point qu'il lui faut rassembler toute sa pauvre volonté pour entrer dans un café ou passer devant le bureau d'un théâtre, ou les contrôleurs lui paraissent investis de la majesté de Minos, d'Eaque et de Rhadamanthe, sautera brusquement au cou d'un vieillard qui passe a côté de lui et l'embrassera avec enthousiasme devant la foule étonnée.
Pourquoi? Parce que... parce que cette physionomie lui était irrésistiblement sympathique? Peut-etre; mais il est plus légitime de supposer que lui-meme il ne sait pas pourquoi.
J'ai été plus d'une fois victime de ces crises et de ces élans, qui nous autorisent a croire que des Démons malicieux se glissent en nous et nous font accomplir, a notre insu, leurs plus absurdes volontés.
Un matin je m'étais levé maussade, triste, fatigué d'oisiveté, et poussé, me semblait-il, a faire quelque chose de grand, une action d'éclat; et j'ouvris la fenetre, hélas!
(Observez, je vous prie, que l'esprit de mystification qui, chez quelques personnes, n'est pas le résultat d'un travail ou d'une combinaison, mais d'une inspiration fortuite, participe beaucoup, ne fut-ce que par l'ardeur du désir, de cette humeur, hystérique selon les médecins, satanique selon ceux qui pensent un peu mieux que les médecins, qui nous pousse sans résistance vers une foule d'actions dangereuses ou inconvenantes.)
La premiere personne que j'aperçus dans la rue, ce fut un vitrier dont le cri perçant, discordant, monta jusqu'a moi a travers la lourde et sale atmosphere parisienne. Il me serait d'ailleurs impossible de dire pourquoi je fus pris a l'égard de ce pauvre homme d'une haine aussi soudaine que despotique.
"- Hé! hé!" et je lui criai de monter. Cependant je réfléchissais, non sans quelque gaieté, que, la chambre étant au sixieme étage et l'escalier fort étroit, l'homme devait éprouver quelque peine a opérer son ascension et accrocher en maint endroit les angles de sa fragile marchandise.
Enfin il parut: j'examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis: "-- Comment? vous n'avez pas de verres de couleur? des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis? Impudent que vous etes! vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n'avez pas meme de vitres qui fassent voir la vie en beau!" Et je le poussai vivement vers l'escalier, ou il trébucha en grognant.
Je m'approchai du balcon et je me saisis d'un petit pot de fleurs, et quand l'homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d'un palais de cristal crevé par la foudre.
Et, ivre de ma folie, je lui criai furieusement: "La vie en beau! la vie en beau!"
Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu'importe l'éternité de la damnation a qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance?








www.baudelaire.cz :: Since 2002 :: Based On Layout Designed By Danny Is On Fire Productions © 2006